FERDINAND MAIRE

(1901-1963)

Un hommage paru dans la Feuille d'Avis de Neuchâtel en 1965

Si Ferdinand Maire a bien passé par l'Ecole à Zurich, il est de ces peintres qui ne peuvent apprendre la peinture que tout seuls. Longuement, patiemment, à force de travailler et de réfléchir. Et c'est peut-être là la meilleure école, à condition qu'on soit assez fort pour résister au doute et pour s'avouer sans cesse qu'on a toujours encore à apprendre.

Ce tempérament-là, de lutteur, sans doute, mais aussi de chercheur, Maire l'avait - en plus d'évidentes facilités; mais il me semble qu'il l'a surtout prouvé dans les dernières années de sa vie.

Ses toiles des années 50 sont encore bien conventionnelles et, plus ou moins lourdes, plus ou moins aérées, elles manquent en somme de caractère. Mais j'ai dit «encore» au lieu de dire «de nouveau», car Maire avait passé par des phases plus personnelles.

Aussi bien suffira-il de se reporter à ces années d'après 1950 pour comprendre que, sagement, il ait hésité à s'engager dans des voies toutes nouvelles comme à continuer ses propres recherches parce qu'il pouvait douter de leur valeur «actuelle» . Il a dû chercher alors, en dehors de la querelle «figuration ou non-figuration» d'autres affirmations, et il a cru les trouver chez van Gogh. C'est du moins ce qu'on peut supposer devant certains curieux plans faits de traits sinueux et parallèles, mais assez violemment coloriés de teintes opposées.

Seulement le monde de van Gogh est animé de forces irrationnelles que l'esprit de Maire ne pouvait adopter, et ces violences-la, pour modérées qu'elles fussent chez lui, ne pouvaient lui aider que momentanément, en provoquant une espèce de libération. Il avait besoin d'ordre, en effet, et cet ordre, il a fini par le trouver en l'empruntant au meilleur des maîtres, à Braque, dont l'influence est évidente dans les toiles de 1956-1957.

Ce qui ne signifie pas qu'il ait «fait du Braque», mais qu'il s'est inspiré de son exemple et même de certains de ses procédés pour apprendre à organiser une nature morte ou un intérieur en les recomposant en les repensant plastiquement, avec des lignes et des couleurs. Sur cette voie-là, Ferdinand Maire suivait la logique de son intelligence et de son goût; il «n'avait donc plus qu'à continuer... ce qui est très facile à dire.

Continuer, cela pourrait être poursuivre la seule organisation en surface du tableau, et aboutir à l'abstraction, mais il aimait trop la réalité pour l'abandonner. Continuer, c'était donc autre chose, mais quoi ? Ces questions, ces doutes, ne frappent peut-être pas immédiatement, dans son oeuvre, quiconque sera plus sensible à l'harmonieuse sérénité de Maire. Mais ce sont ces questions et ces doutes qui créent et qui nourissent l'intensité dont je parlais.

Se refusant toujours à la non-figuration, il trouva d'autres moyens d'interpréter le paysage ou la nature morte, recourant par exemple à de grandes arabesques - plus décoratives que vraiment picturales - ou à ce que j'appellerais des «bandes» ; c'est comme si le sujet se voyait à travers des rubans qu'on aurait entrecroisés devant lui, mais sans les tendre ni les serrer, de manière à laisser à l'ensemble la souplesse en même temps que la rigueur d'une certaine structure.

C'est à peu près à ce stade qu'en était Maire lors de sa dernière exposition à Boudry en 1961, et cela paraissait tourner au procédé, d'autant plus que la gamme des couleurs - des jaunes et des bleus plus ou moins violacés - ne changeait guère, comme s'il hésitait à tenter une nouvelle aventure.

Or ses toiles de 1962, précisément, étaient devenues autres, et, à men sens, plus fortes. L'organisation n'en est ni moins solide, ni moins réfléchie, mais moins systématique; la géométrie s'y est atténuée au profit d'un «naturalisme» qui s'affirme mieux sous un rideau de lignes plus transparent. Et la couleur elle aussi s'est modifiée: les accords en quart de ton font place à de franches oppositions de couleurs et de valeurs - qui n'en sont pas moins des accords, mais plus sonores.

Quelle que soit l'oeuvre antérieure de Ferdinand Maire, on est triste de penser que cette œuvre nouvelle, on n'en verra que les début.

Daniel Vouga

Biographie de Ferdinand Maire

Oeuvres de Ferdinand Maire en vente sur notre site