Charles BARRAUD (1876-1972) Peintre neuchâtelois
Né à La Chaux-de-Fonds le 19 avril 1897, Charles Barraud, fils de graveur, est l'aîné d'une famille de sept enfants dont quatre seront peintres. Parallèlement à un stage de doreur et de travailleur en bâtiment, il suit les cours du soir de l'Ecole d'art de La Chaux-de-Fonds à l'instar de ses frères François, Aimé et Aurèle. De 1922 à 1924, il travaille à Reims sur le chantier de la cathédrale, puis au musée de cette ville. Rentré à La Chaux-de-Fonds, Barraud ouvre un petit atelier d'encadrement et entame sa carrière de peintre. Très vite, il se distancie du style réaliste de ses frères, optant pour une peinture empâtée, discrètement colorée, avec une dominante de gris, assez proche de Charles Humbert et de Madeleine Woog, mais d'une veine poétique évidente. En 1940, Barraud s'installe à Areuse. Il se consacre alors au paysage, s'inspirant des rives du lac, du hameau de Grandchamp et des bords de la rivière. Il se voue également, à ce moment, à des compositions de personnages ainsi qu'à une série d'auto-portraits. Après un déménagement à Cortaillod, où son activité sera intense, Charles Barraud acquiert une maison dans le Midi de la France, à Blauzac, village qui sera le thème de plusieurs dizaines de tableaux où la lumière et la couleur éclateront. Si-multanément l'artiste produira, jusqu'à une période toute récente, des compositions de personnages imaginaires où l'effet coloré domine, évocations du cirque, de baignades, de scènes pastorales qui échappent à la réalité. Barraud crée là un monde onirique qui rejoint celui, merveilleux, de l'enfance. Charles Barraud, toujours resté très modeste, a présenté ses oeuvres au public dès les années vingt. Il a participé à des quantités d'expositions collectives sur le plan local (expositions des Amis des arts de La Chaux-de-Fonds, salon des Amis des arts de Neuchâtel) et sur le plan national (Expositions nationales des beaux-arts, etc...) Plusieurs expositions personnelles ont eu lieu en Suisse. En outre, il a participé à quelques expositions internationales. Les oeuvres de Charles Barraud figurent dans de nombreuses collections privées ainsi que dans diverses collections publiques : Confédération, Etat de Neuchâtel, Musée d'art et d'histoire de Neuchâtel. Musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds, musée des Beaux-Arts du Locle.
La fin d'une époque et d'un Age d'or La mort de Charles Barraud, la semaine dernière à l'aube de ses cent ans, plonge dans la tristesse ses amis et admirateurs, qui se réjouissaient de fêter avec lui cet anniversaire dans le contexte de l'exposition que lui prépare la galerie des Amis des arts de Neuchâtel. Mais, surtout, elle marque la fin du phénomène des quatre frères Barraud et clôt l'Age d'or de la peinture chaux-de-fonnière. A La Chaux-de-Fonds, à l'écart des courants internationaux et répondant à un extraordinaire dynamisme culturel malgré les menaces des temps, l'Age d'or de la peinture s'est fait jour à la veille de la Première Guerre mondiale, tandis que l'Ecole d'art de la ville rayonnait de toute la palette effervescente des meilleurs peintres locaux qu'elle a' produits au XXe siècle. Parmi eux, Madeleine Woog, Charles Humbert, Charles, Aimé, Aurèle et François Barraud, Janebé, Georges Dessouslavy, André Evard, Charles L'Eplattenier ou encore les frères Locca, Lucien Schwob... Si les genres et les manières permettent des regroupements distincts, tous ces artistes se sont nourris d'une même pâte: école, enseignements, professeurs, atmosphère, souci tout à fait horloger de la bienfacture. Pour ce qui concerne les frères Barraud, tout comme Woog et Humbert, leur oeuvre se rattache au figuratif, au précisionnisme et à la recherche du détail, propres à la région qui voue son savoir à la mesure du temps. Néanmoins, si dans un premier temps, il n'est pas trop audacieux de parler d'une école des frères Barraud, Charles (1897-1997), l'aîné qui survivra à ses trois frères. s'engagera, lui, dans une voie propre, adoptant une touche un rien cézanienne, privilégiant l'harmonie à la forme strictement cernée. Ses huiles séduisent par leur éclat, leur douceur de tons, dans des chromatismes gris-rose-beige-marron. En témoignent «Evasion», nus sur la plage (modèle Janebé, sa femme), réalisé en 1935, au musée du Locle; «Mélancolie», magnifique composition mettant en scène Janebé en tenue d'intérieur, peint un an plus tard, au musée de La Chaux-de-Fonds. On est loin, là, de la précision de François ou d'Aimé, poussant, bien plus loin la méticulosité, dans un registre plus fort. Malgré les liens qui les unissent, Charles poursuivra toujours son individualisme et la simplification, ainsi que le montrent ses oeuvres successives, celles des dernières années en particulier où il atteint à une fraîcheur toute enfantine et qui plaisent tant aujourd'hui. Nés dans une famille de graveurs, les frères Barraud ont effectué des apprentissages de doreurs ou plâtriers, se formant au dessin auprès de William Stauffer aux cours du soir de l'Ecole d'art. Exerçant différentes tâches alimentaires - un conseiller communal avait la bonne idée parfois de les faire peindre -, tous quatre devaient fuir le chômage en 1922 pour trouver de l'embauche sur le chantier de la cathédrale de Reims. Grâce à des bourses fédérales, enfin, Charles Barraud put voyager, en Afrique du nord notamment (1935-36), d'où il ramena une belle série d'oeuvres. Dans la région, les travaux de cet artiste attachant ont été acquis par nombre de collectionneurs, mais on peut également en voir au Musée d'art et d'histoire de Neuchâtel, ainsi qu'aux Musées des beaux-arts du Locle et de La Chaux-de-Fonds. Sonia Graf
La longue marche de Charles Barraud Par Jean Buhler (L'Express, 1997) Chez lui, la modestie accompagne la sagesse comme la cerise vient sur le gâteau. Demandez-lui comment il a fait pour arriver à l'âge de cent ans malgré ce qui peut encombrer le chemin d'un artiste absent de toute coterie, indépendant en diable, il vous répondra de cette voix flûtée, presque lointaine, qu'il a maintenant: - La chance ! Né le 19 avril 1897 à La Chaux-de-Fonds, dans une rue du Grenier qui a vu démarrer dans la vie des gens dotés d'un grain de plus que les autres, comme Louis Chevrolet, les Zwahlen avec leur goutte de sang éthiopien, et une cohorte qui n'en finit pas, Charles Barraud était le plus frêle des cinq enfants d'un couple de graveurs, l'aîné. Ses frères ont disparu, François, Aimé, Aurèle, tous acharnés au travail, tous ayant passé par l'Ecole d'Art, tous marqués par l'apprentissage d'un métier qui exigeait la, précision sans refuser la fantaisie. Lui, Charles, sans fracas, sans grandiloquence, s'est dégagé année après année, coup de pinceau après coup de pinceau, des pesanteurs de l'héritage, de la nuit des racines, pour aller vers la lumière et la liberté, sa lumière et sa liberté. Je lui demande pourquoi il arrive au seuil d'un siècle de vie. Il a un geste presque défensif, son regard est affectueux, il désire être compris sans s'expliquer et il me glisse: - J'ai rien fait. Seigneur, si vous n'avez pas trop de boulot là-haut devant vos écrans d'Interstar, avec votre maman et ces nuées de saints qui n'arrêtent pas d'intercéder, veuillez nous refaire de temps en temps des Charles Barraud qui n'ont rien fait pour aboutir à la maîtrise de soi et de la vie: rien, sinon dominer l'argent; rien, sinon ignorer la mode; rien, sinon allumer les cinq feux des poêles à bois tous les matins au sortir du, lit; rien, sinon travailler chaque jour et garder du temps à donner aux amis, aux moments de plaisance, aux générosités de l'échange fraternel, aux voyages dans le Sud tunisien avec des ballots de vêtements à distribuer aux oasiens et aux nomades; Seigneur, veuillez remettre quelques Barraud de ce calibre à notre cage et la vie nous paraîtra plus claire, plus douce! Nos vieilles maisons de la Béroche ou du Gard (Blauzac depuis des décennies, à quinze pas de chez moi) ont besoin de ces hypnotiseurs de chats, tourneurs de moulin à café, siroteurs d'atmosphère, piétons qu'attendrit une hérissonne avec ses mômes, cinéastes qui se lèvent à quatre heures pour aller voir s'ouvrir la coquille d'un œuf de cygne dans les roseaux, peintres qui ne lâchent pas une toile sans l'avoir munie d'un cadre en harmonie avec ce qu'il enserre. Le credo de Charles Barraud devant l'espace à peindre tient presque entier dans le refus de la fausse note. L'heure de peindre est pour lui le début du concert. Il croit toujours qu'il va improviser; la loi de l'oeuvre en gestation lui demande d'orchestrer. Il y va d'un pinceau-baguette scrupuleux, il se surveille, il évite les pièges de l'anecdote, il arbitre le duel entre ce qu'il voudrait montrer et ce que les frémissements de la profondeur, les cris de la lumière exigent. Ses volontés à lui ne sont pas toujours impérieuses, il doit souvent attendre que les conflits de couleurs se résolvent par opposition ou juxtaposition; des toiles sont restées dans un coin de sa chambre-atelier, plantées sur un pied comme des pêcheurs nubiens, jusqu'au moment où l'équation se résout d'elle-même, où l'évidence s'impose, où le tableau s'équilibre. - Il faut savoir se tenir sur son vélo, m'a dit un jour Charles. Des leitmotive dominent le travail des vingt dernières années. La femme, l'enfant, le jardin, l'innocence. Il y a eu prolifération de personnages qui flottent dans un espace idéal, des pierrots qu'on croit connaître, lutins, tziganes, titis, minots de Marseille ou apprentis clowns au paradis. Ils dansent, flottent dans une ambiance qui n'est pas définissable, on en a le nom sur la langue, on sait bien qu'il s'agit d'un lieu qui n'est plus, qui peut-être ne fut jamais, mais enfin du moment qu'on s'y retrouve d'instinct, ça ne devrait pas être au bout du monde. Et pourtant, cet espace secret est justement le bout du monde, le point d'intersection de l'art que fait la main, que désire le coeur et que définit l'esprit. Ces centaines de petits bonshommes chez des dizaines de particuliers. Comme autant de Peter Pan qui ouvrent une fenêtre invisible et s'envolent en vous invitant à les suivre. J. B.
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